Création d'un parfum

C’est au cœur de la ville de Coire que se trouve l’entrée d’un monde fascinant: le royaume des parfums. C’est Patrick Stebler, droguiste, aromathérapeute et parfumeur, qui en détient les clés. Dans sa droguerie, il ne fait pas que vendre du parfum. Il laisse ses clients découvrir, expérimenter, ressentir. Et les rend parfois vraiment heureux.

Se laisser emporter par les souvenirs

Les yeux de Patrick Stebler se mettent à briller à la seule évocation du mot «parfum» «Certes, le parfum n’est pas un besoin vital», admet-il. «Mais c’est quelque chose de merveilleux. Le parfum est la forme la plus intense du souvenir.» Une odeur peut déclencher beaucoup de choses chez l’être humain. On revoit parfaitement son premier voyage au bord de la mer quand on respire l’odeur d’une pastèque parce qu’il y en avait toujours à la plage. Et les soirées douillettes passées avec grand-père devant la cheminée ressurgissent de l’inconscient quand on sent un mélange de cannelle, de cèdre et de sauge – réplique exacte de la lotion après-rasage de pépé. En un mot: les parfums réveillent nos émotions. Lesquelles peuvent être violentes. «J’ai déjà eu des clients qui ont pleuré quand nous avons trouvé le parfum qui leur rappelait quelque chose de particulier», confie-t-il en prenant un flacon de l’étagère.

Naviguer sur la mer

Le droguiste vaporise alors un peu de parfum sur un mouchoir en papier. «Cette senteur rappelle la mer, les vacances. Et, comme toutes les odeurs, elle a une histoire. L’origine de ce parfum remonte à une croisière en voilier vers la Sardaigne et la Corse. On est à bord et on ferme les yeux. Une brise de mer titille le nez – c’est exactement cette odeur que le parfum représente.» Je renifle la serviette et ne me sens pas bien. Presque un peu malade. Ça ne sentirait pas la pommade contre les refroidissements? «C’est possible», convient Patrick Stebler. «Ce parfum contient du myrte, dont un des composants est une huile essentielle, le menthol. Ce parfum n’est donc pas fait pour vous, mais il rappelle les vacances à d’autres personnes.»

Les parfums sont en effet très individuels. Ce qui plaît à une personne peut totalement en rebuter une autre. «C’est aussi une question de culture et de religion. En Europe du Nord, on se parfume plutôt discrètement. Il en va tout autrement en Orient, où les gens s’enveloppent volontiers de fragrances odorantes.»

Humer l’odeur d’un livre

Le mot parfum vient du latin «per fumum», qui signifie par la fumée. Les gens se parfumaient déjà 7000 ans av. J.-C. Pour ce faire, ils brûlaient des matériaux comme du bois ou de l’encens. Ce n’est qu’à la découverte de la distillation que les premiers parfums, sous leur forme actuelle, ont vu le jour.

Aujourd’hui, un parfumeur peut piocher parmi 500 parfums naturels et près de 2500 de synthèse, issus de huit groupes principaux. «En principe, il n’y a rien qui n’existe pas», poursuit Patrick Stebler en prenant un livre qui contient un petit flacon. «Ce parfum rappelle l’odeur d’un livre fraîchement acheté.» Effectivement, la serviette en papier fleure bon l’odeur d’un nouveau livre. Merveilleux!

Cap sur le Brésil

Un parfum pour Monsieur et un parfum pour Madame? Rien de tel chez Patrick Stebler. «Chacun devrait prendre le parfum qui lui plaît. Les parfums pour dames et les parfums pour hommes, c’est une invention de l’industrie.»

Par ailleurs, un parfum ne sent pas toujours la même chose. Tout d’abord, on perçoit ce qu’on appelle la note de tête, puis la note de cœur et enfin la note de fond. La note de tête domine pendant 5 à 10 minutes. Il s’agit essentiellement de senteurs volatiles, comme l’orange ou le citron. La note de cœur, principalement constituée de fleurs comme la lavande ou la rose, subsiste jusqu’à deux heures. Enfin, c’est la note de fond qui peut durer jusqu’à quatre heures. Il s’agit là essentiellement de bois et de résines.

Et voilà déjà le prochain flacon. «Ce mélange rappelle le Brésil. La note de tête réunit citron, bergamote et mandarine; autant d’odeurs fraîches. Après quelques instants, on sent le gingembre, le poivre et la cardamome, des senteurs ardentes. Enfin des touches de caipirinha et de rhum forment la note de fond. C’est un mélange fascinant et sauvage.» Même si je ne suis encore jamais allée au Brésil, je me sens effectivement comme ailleurs quand je respire ce parfum. Mais en fait, je préfère voyager dans la fraîcheur des montagnes suisses.

Randonnée dans une forêt d’aroles

Patrick Stebler a naturellement aussi de quoi me satisfaire. C’est un des deux parfums qu’il a imaginé avec un ami d’enfance à l’occasion de leur 50e anniversaire. «Ce parfum devrait évoquer une promenade dans une forêt d’aroles dans les Grisons en automne.» C’est bien ça. Et ça me convient parfaitement.

Et voilà l’essentiel. «Il faut se sentir à l’aise avec un parfum. C’est quelque chose de très personnel et intime.» C’est pourquoi il est aussi important de prendre du temps pour bien le choisir. «N’achetez surtout pas un parfum parce qu’il est justement à la mode ou qu’une chanteuse lui a donné son nom. Essayez-le, aussi sur votre propre peau. Et une fois que vous avez trouvé le bon parfum, restez-lui fidèle.»

Il faudrait avoir quatre à six parfums chez soi. Un pour le travail, un pour les sorties… Un plutôt pour l’été, un autre pour la saison froide… «En fonction de la situation, on aura ainsi toujours le bon parfum à disposition.»

Et où appliquer le parfum? «Un jour, quelqu’un a dit: <Partout où l’on aimerait être embrassé>.» Patrick Stebler rit. «Le mieux est de le vaporiser là où le sang circule bien et donc où il fait chaud. A savoir sur les poignets, derrière les oreilles, entre les seins. On peut aussi le faire sur les cheveux ou les habits, par exemple sur un foulard en hiver. Mais attention à ne pas faire de taches.» Bon à savoir: avec un parfum de qualité, une application par jour suffit.

Pour terminer, Patrick Stebler va chercher son produit phare. «C’est la preuve qu’un parfum peut faire de l’effet. Un parfum normal contient jusqu’à 60 ingrédients différents, ici, vous n’avez qu’une seule molécule, l’Iso E Super Gamma, une phéromone. Et cela agit, j’y crois dur comme fer. Si j’étais à la recherche d’un job ou d’une partenaire, je l’utiliserais certainement. Et j’aurais sûrement du succès.»

Il y aurait aussi l’odeur du linge frais qui convient aux personnes qui sont professionnellement en contact avec d’autres personnes, comme les médecins, les coiffeurs ou les masseurs. Ou l’odeur du talc de bébé, que les vieilles dames adorent, ou celle des pinèdes méditerranéennes ou celle des troupeaux de chevaux sauvages…