«Le commerce spécialisé soulage notre système de santé démesuré»

Fabian Vaucher, président de la Société suisse des pharmaciens pharmaSuisse, et Martin Bangerter, président central de l’Association suisse des droguistes, parlent de leurs recettes pour contrer l’augmentation des coûts de la santé et de l’avenir de leur branche.

Monsieur Vaucher, quand avez-vous franchi le seuil d’une droguerie pour la dernière fois?
Fabian Vaucher: Etant moi-même propriétaire d’une pharmacie-droguerie, j’éprouve relativement peu le besoin d’aller dans une droguerie pour faire des achats ou profiter d’une prestation. Mais je le fais quand même régulièrement pour étudier le marché.

Monsieur Bangerter, quand êtes-vous entré dans une pharmacie pour la dernière fois?
Martin Bangerter: J’y vais de temps en temps quand j’ai besoin de quelque chose rapidement et qu’il n’y a pas de droguerie dans les environs.

Qu’est-ce que les droguistes, et les pharmaciens, font particulièrement bien?
F. V.: Les pharmacies sont principalement là pour réaliser les ordonnances médicales. Les drogueries ont une offre axée sur le client. En tant que pharmaciens, nous pouvons en tirer des leçons.

M. B.: Les pharmacies sont concentrées sur leur compétence clé, à savoir les médicaments. Ce que nous devons tous deux mettre en avant, ce sont les prestations. Et l’offre des pharmacies est déjà plus concrète dans ce domaine, par exemple avec les services de vaccination.

Pourquoi y a-t-il toujours plus de pharmacies-drogueries?
F. V.: Le consommateur veut «one stop, one shop», autrement dit, tout trouver dans le même magasin. D’où la mode des commerces mixtes. Et c’est aussi pourquoi nous sommes assis à la même table aujourd’hui. Nous avons tous deux des difficultés, en raison de la force du franc et de la détérioration des conditions-cadres pour le commerce de détail. Nous devons donc nous rapprocher.

M. B.: Nous proposons les deux des conseils spécialisés pour l’automédication. C’est important. Cela garantit l’indispensable sécurité du traitement tout en évitant des coûts pour la santé.

Martin Bangerter

Droguiste dipl. ES, Martin Bangerter est le président central de l’Association suisse des droguistes (ASD) depuis 2009. Actuellement, 493 drogueries sont membres de l’association, en Suisse romande et Suisse alémanique.

Comment cela?
M. B.: Un médicament vendu sans conseil est peut-être meilleur marché. Mais que se passe-t-il? Les gens l’essaient. S’il n’aide pas, les choses en restent là dans le meilleur des cas. Mais il arrive souvent qu’il y ait ensuite des coûts supplémentaires, en raison d’effets indésirables, d’interactions, de surdosages, etc. Les conseils spécialisés permettent généralement d’éviter cela. Et quelqu’un devrait aussi inciter le client à consulter un médecin quand il le faut.

F. V.: Nous devons en outre renforcer les compétences en matière de santé, pour que tous puissent assumer leur responsabilité concernant leur santé. Pour cela, il faut un accompagnement professionnel spécialisé. Et là, nous sommes les deux en première ligne.

Beaucoup préfèrent chercher des conseils sur internet…
F. V.: Il y a certes beaucoup d’informations sur internet, mais le client ne peut pas les pondérer. «Dr Google» désigne notamment certaines maladies comme de possibles causes alors qu’il n’y a qu’une chance sur 10 000 pour qu’elles soient effectivement en cause. Nous, en pharmacie ou en droguerie, pouvons différencier et pondérer les différentes situations.

M. B.: Nous pouvons répondre aux besoins des clients de manière très individuelle. La médecine complémentaire, en particulier, nous offre de nombreuses possibilités.

Fabian Vaucher

Pharmacien d’officine FPH, Fabian Vaucher est le président de pharmaSuisse, la Société suisse des pharmaciens, depuis janvier 2015. L’association faîtière des pharmaciens regroupe actuellement près de 1400 pharmacies.

Vous avez certainement beaucoup de clients qui viennent en magasin en demandant un produit précis.
F. V.: Les gens viennent souvent avec ce qu’ils croient être une solution. J’appelle cela la «fantaisie thérapeutique». C’est à nous, professionnels, de trouver de quoi il s’agit effectivement. Un jour, un client m’a demandé une natte en cuivre. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit qu’il devait se lever plusieurs fois chaque nuit pour uriner. En fait, il buvait énormément, ce qui peut être un signe de diabète et je lui ai donc conseillé de faire un test plutôt que d’acheter une natte en cuivre.

Et cela a-t-il permis d’économiser de l’argent?
F. V.: Oui, il était diabétique et s’il avait continué comme ça, cela aurait certainement eu des conséquences. Le commerce spécialisé soulage ainsi notre système de santé démesuré. Le fait que les malades chroniques ne suivent pas ou pas bien leur traitement coûte chaque année près de 30 milliards de francs au système de santé suisse. Ils pensent parfois qu’ils n’en ont pas besoin ou doutent de l’utilité de leurs médicaments. Si ces gens apprennent à écouter leur corps et que nous trouvons ensemble un traitement individuel, alors nous pouvons économiser énormément.

Et comment y arriver?
F. V.: En favorisant le discernement des clients.

M. B.: Le client trouve dans ces deux magasins des interlocuteurs compétents qui peuvent lui offrir le soutien et la sécurité nécessaires. S’il comprend le traitement, il le suivra aussi beaucoup mieux.

F. V.: Aujourd’hui, les gens vont souvent directement aux urgences pour des troubles bénins. Or le commerce spécialisé est l’endroit idéal pour traiter de tels cas.

M. B.: Je conseille à tout le monde d’aller d’abord en droguerie ou en pharmacie. Les maladies peuvent souvent être soignées bien et rapidement grâce à l’automédication.

Et si le cas est plus sérieux?
M. B.: … alors, hop, c’est directement chez le médecin.

Les gens paient des primes d’assurance maladie élevées et veulent donc bénéficier de prestations en retour quand ils sont malades.
F. V.: Mais le client devrait aussi investir dans sa santé et donc payer lui-même quelque chose de temps en temps. Nous devons développer des incitations dans ce sens.

M. B.: Ma caisse-maladie se montre arrangeante au niveau des primes si je m’engage sérieusement pour ma santé.

F. V.: Voilà pourquoi tu cours toujours autant (il rit).

M. B.: Oui, d’ailleurs c’est bientôt mon assurance qui me paiera (ils rient les deux).

Les gens ne font pas que s’informer sur la toile, ils y font aussi des achats.
F. V.: Oui, et là nous devons revoir notre copie. Le spécialiste de vente par correspondance Zur Rose ouvre maintenant des magasins physiques. Pourquoi ne faisons-nous pas l’inverse: ouvrir ensemble un magasin en ligne?

M. B.: Mais où l’on ne pourrait pas acheter de médicaments.

F. V.: Effectivement, cela n’est pas prévu dans la loi. Mais on pourrait commander des médicaments sur internet et venir les chercher à la pharmacie ou à la droguerie.

M. B.: Cette formule n’est toutefois pas très attrayante pour les clients.

F. V.: Oui, le service ne serait certainement pas le même.

L’avenir n’est donc pas dans le commerce en ligne?
F. V.: Dans le domaine de la santé, le besoin d’échanges personnels et de conseils sera toujours là.

M. B.: C’est justement ce contact qui crée la sécurité nécessaire. Malheureusement, les clients viennent souvent demander conseil dans le commerce spécialisé puis vont finalement acheter leurs produits sur internet.

F. V.: C’est exactement ce qui s’est passé dans le marché de l’électronique. Les gens allaient chez les marchands d’appareils photographiques pour se faire conseiller mais les achetaient ensuite ailleurs.

M. B.: Il y a maintenant des magasins de matériel photo qui vendent des appareils au prix en ligne. Autrement dit sans conseil, lequel est facturé en sus. Pour les médicaments, impossible d’économiser de cette manière. Mais c’est à vérifier dans d’autres domaines.

Acheter à l’étranger, c’est un problème?
M. B.: Nombreux sont ceux qui pensent que les commerçants suisses se sucrent au passage. C’est faux. Un commerçant suisse, même s’il gère bien son entreprise, achète souvent sa marchandise presque au même prix qu’elle est vendue aux clients à l’étranger, dans les zones proches de la frontière.

Cela n’intéresse pas le client de savoir combien le commerçant paie.
F. V.: Chaque fois qu’une personne achète à l’étranger, elle devrait se demander si elle veut que les salaires restent élevés en Suisse. Si elle veut conserver les postes de travail, les places d’apprentissage…

M. B.: … et les prestations sociales. Nous n’aimerions pas que nos collaborateurs doivent encore aller travailler ailleurs pendant la nuit pour pouvoir payer leur loyer.

Pourquoi une assistante en pharmacie doit-elle étudier trois ans et une droguiste quatre ans?
F. V.: Une assistante en pharmacie travaille toujours sous la supervision d’un responsable. Une droguiste est beaucoup plus indépendante.

M. B.: Elle s’occupe aussi d’un assortiment bien plus grand. Outre les produits thérapeutiques, elle connaît aussi les produits de beauté et d’entretien et peut aussi conseiller de manière compétente dans ces domaines. Cela va certes à l’encontre de la tendance des shops spécialisés. On reproche d’ailleurs parfois aux droguistes de vendre tout et n’importe quoi. Mais cela correspond à un besoin. Si quelqu’un n’a pas seulement mal à la tête après avoir fait la fête, mais aussi une tache de vin rouge sur le tapis, alors la droguerie est là pour lui.

F. V.(il rit): Justement, «one stop, one shop».

Auteure: Bettina Epper
Traduction: Claudia Spätig
Rédaction: Marie-Noëlle Hofmann
Source
  • «Tribune du droguiste»